Connaissances - Des territoires inégalement intégrés dans la mondialisation

La mondialisation contemporaine conduit à l’affirmation ou à la réaffirmation de puissances et à l’émergence de nouveaux acteurs. 

Les territoires, quelle que soit l’échelle considérée (États, régions infra- et supra-étatiques, métropoles…) ont inégalement accès à la mondialisation.

 

 I. Des territoires inégalement intégrés 

 

Quelle hiérarchisation des territoires la mondialisation provoque-t-elle ?

 

La mondialisation est un système géoéconomique et géopolitique fondé sur une mise en relation généralisée, mais hiérarchisée des territoires. Elle repose sur l’internationalisation des firmes transnationales, la mobilité des capitaux, des produits et des informations, les innovations technologiques. Elle dépend des stratégies d’insertion plus ou moins volontariste des États.

 

 A. Les territoires moteurs 

 

  • À l’échelle mondiale, trois pôles majeurs (l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et l’Asie-Pacifique) jouent un rôle primordial dans la mondialisation. Cet ensemble produit 80% de la richesse mondiale et génère les trois quarts des flux commerciaux. Ces aires de puissance sont à l’origine de 90% des opérations financières et de 75% de la Recherche-Développement dans le monde.
  • Mais le monde est de plus en plus multipolaire en raison de l’émergence d’États qui s’intègrent davantage dans la mondialisation. Parmi eux, les BRICS* dominent, notamment la Chine, mais ils sont encore des puissances incomplètes. Les autres pays émergents participent aussi à la recomposition de la hiérarchie des territoires.
  • Certaines de ces puissances émergentes sont de rang mondial (Chine, Russie, Inde, Brésil) ou continental (Afrique du Sud,  Arabie Saoudite, Turquie, Mexique, Argentine). D’autres cherchent encore leur voie (Iran, Éthiopie, Indonésie, Thaïlande, Malaisie, Égypte, Pakistan, Nigeria).
  • Ces 17 États s’affirment avec vigueur sur la scène internationale. À l’échelle mondiale, ils représentent déjà 60 % de la population, un tiers de l’économie, 28 % des exportations et 43 % de la production manufacturière. Loin d’être un tout homogène, ils peuvent s’allier comme les BRICS ou s’affronter comme l’Arabie Saoudite et l’Iran.
  • Mais ses nouvelles puissances doivent aussi relever d’immenses défis internes : déséquilibre économique, systèmes rentiers russe, saoudien ou iranien, déficit démocratique et systèmes oligarchiques, profondes inégalités sociales et territoriales alimentant de fortes tensions internes, gestion prédatrice des ressources non durables, sous équipements en ce qui concerne l’eau, l’électricité, les transports, l’urbanisation.
  • Au sein de ces espaces moteurs de la mondialisation, les métropoles, en particulier les villes mondiales et les centres financiers, sont des pôles majeurs de la mondialisation (New York, Tokyo, Londres…). Elles forment un « archipel métropolitain mondial »: ces territoires très dynamiques sont fortement reliés entre eux.
  • Si tous les territoires sont intégrés dans la mondialisation, leur situations et trajectoires diffèrent sensiblement débouchant sur un monde fragmenté. On peut distinguer quatre grands ensembles : les anciens centres hégémoniques dominants, les nouveaux pôles autonomes ou en voie d’émergence, les États intégrés dominés et les marges évitées. Les tensions et rivalités se cristallisent en particulier autour de grands points chauds. Cinq sont de grandes interfaces maritimes : le bassin Caraïbe, la Méditerranée, le golfe Persique, la mer de Chine et l’océan Arctique. Deux sont de grandes interfaces continentales : la grande bande Sahara-Sahel et le Moyen-Orient.

 

 B. Les espaces en marge 

 

  • Les territoires en périphérie de la mondialisation sont très divers: de l’Asie centrale à l’Amérique andine, en passant par l’Afrique sahélienne, ces espaces sont à l’écart des flux mondialisés.
  • Les Pays les moins avancés (PMA*) sont les territoires les plus en difficulté (21 États en 1971, 47 en 2019 dont 33 en Afrique). Dans ces territoires très dépendants des remises des migrants et de l’aide internationale, une grande partie de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. L’agriculture est souvent vivrière, l’économie peu diversifiée. Certains tentent de s’intégrer par le tourisme ou l’exportation de matières premières.
  • À Phnom-Penh, la capitale du Cambodge, le taux de pauvreté est de 7 % contre 20 % à Sihanoukville (grand port du pays favorisé par la Chine dans le cadre des routes de la soie) et 84 % dans les zones rurales. Cette géographie centres et périphéries se retrouve dans tous les pays d’Asie du Sud-Est et d’Afrique subsaharienne qui est la région qui concentre une grande majorité de PMA (Mali, Niger, Centrafrique, Sierra Leone…). Ces dynamiques sont entretenues par un risque-pays élevé qui détourne les investisseurs de ces économies.
  • Certains États sont défaillants ou en guerre (Somalie, Yémen): ils ne parviennent pas à contrôler leur territoire et à s’insérer dans les flux internationaux, ou alors de manière illicite (piraterie, drogue). D’autres États sont à l’écart des flux mondialisés pour des raisons idéologiques. Sans être forcément des PMA, il s’agit le plus souvent de dictatures qui rejettent l’influence occidentale, comme la Corée du Nord.
  • Mais ces pays et territoires en apparence les plus marginalisés participent tout de même à une mondialisation souterraine. L’Afghanistan produit 80 % de l’héroïne mondiale, pour le plus grand profit des grands propriétaires fonciers, qui indexent les baux fonciers sur le prix de la drogue, des chefs de guerre et des réseaux de trafiquants internationaux. Les activités criminelles sont facilitées par la faiblesse de l’autorité de l’État à l’origine de constitution de zones grises.

 

 C. Une hiérarchisation multiscalaire  (à plusieurs échelles)

 

  • Le processus de mondialisation renforce les inégalités territoriales.  L’indice de mondialisation* révèle ces inégalités: cet indice synthétique permet une approche plus nuancée du degré d’intégration de certains pays. Ainsi, la Chine est nettement moins mondialisée que de nombreux pays (80e rang en 2017).
  • À l’échelle nationale, la mondialisation favorise lamétropolisation* et la littoralisation*. La mise en concurrence des territoires favorise les espaces urbains et littoraux. Ainsi les espaces intérieurs et faiblement peuplés (l’Ouest de la Chine) sont beaucoup plus faiblement intégrés à la mondialisation. D’autres fournissent des matières premières, mais leur exploitation par les États et les firmes transnationales se fait souvent au détriment de l’environnement (Amazonie, Arctique russe…) et des peuples autochtones (Indiens, Nenets en Sibérie).
  • Au sein des métropoles, la mondialisation renforce les inégalités sociales: la ségrégation socio-spatiale y est très forte. Les bidonvilles et ghettos jouxtent parfois les gated communities*: en 2019, 84 milliardaires vivent à New York, mais 1,8 million de leurs concitoyens sont pauvres.

 

 

 II. Les facteurs de l’inégale intégration 

 

Quels sont les facteurs de l’inégale intégration des territoires à la mondialisation ?

 

 A. Les facteurs d’intégration 

 

  • Les pôles majeurs de la mondialisation (l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et l’Asie orientale) concentrent un haut niveau de richesse, de développement économique, une forte capacité d’innovation et une grande accessibilité. Ils abritent les institutions internationales (ONU à New York, OMC à Genève…). Leur puissance repose aussi sur leur capacité à faire émerger des modèles économiques, politiques et culturels diffusés mondialement. L’Europe et l’Amérique du Nord sont regroupées dans des associations économiques régionales (UE, ACEUM), qui favorisent le commerce intra-zone et valorisent leurs interfaces frontalières.
  • Les villes mondiales se distinguent par des spécificités fonctionnelles qui leur permettent de rayonner au-delà de leur territoire national. Elles concentrent des fonctions stratégiques et de commandement (sièges sociaux de FTN*, sièges des bourses mondiales).  Ces métropoles offrent une population dense et en moyenne plus diplômée que dans le reste du pays, ainsi qu’un certain nombre d’activités de services à haute valeur ajoutée, nécessaires aux entreprises (assurances, services bancaires, recherche et développement…). Ces territoires très dynamiques sont fortement reliés entre eux par de puissants hubs*. Les CBD ou quartiers d’affaires symbolisent cette intégration à la mondialisation. La puissance de ces métropoles se prolonge grâce à leurs façades maritimes.

 

 B. Les facteurs limitant l’intégration 

 

  • Les espaces en marge de la mondialisation cumulent des  faiblesses  qui entraînent leur mise à l’écart du commerce mondial. L’enclavement de certains espaces est un facteur répulsif pour les firmes transnationales (FTN): ces dernières ont besoin d’accessibilité (accès à la mer, grand aéroport, routes goudronnées) pour participer aux échanges commerciaux et financiers. Une instabilité régionale, potentiellement génératrice de conflits, décourage l’installation de firmes étrangères (risque-pays).La grande pauvreté est aussi un facteur limitant l’intégration: le faible accès à l’éducation provoque un manque de main-d’œuvre qualifiée, nécessaire à l’installation des FTN. Les infrastructures de transports pâtissent également de cette insuffisance de moyens.

 

 C. Un processus mouvant 

 

  • Au-delà de cette organisation territoriale actuelle, certains espaces peuvent devenir attractifs et d’autres répulsifs. La mondialisation est un processus mouvant qui peut faire évoluer la situation de certains territoires. Par exemple, la découverte de nouvelles ressources rares ou le changement climatique peuvent permettre de valoriser certains espaces. D’autres en revanche deviennent répulsifs en cas de tarissement des ressources ou d’instabilité politique.
  • De  nouvelles  stratégies  d’acteurs  (État,  organisations  régionales,  entreprises)  peuvent  changer  la  situation  d’un  territoire  dans  la  mondialisation : en  témoignent  la  montée  en  puissance  des  pays  émergents  et  les  effets  des corridors  de  développement.  À l’échelle nationale, une politique d’ouverture aux IDE*, à l’échelle locale, la création de zones franches, peuvent rendre attractif un territoire. Les paradis fiscaux sont ainsi devenus des centres majeurs de la mondialisation financière.

 

 III. Les organisations de coopération  

 

Quels sont le rôle et les limites des organisations de coopération dans la mondialisation ?

 

 A. Des organisations internationales 

 

  • Des institutions internationales encouragent la mondialisation en incitant à la libéralisation des échanges. Depuis 1944, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) promeuvent une économie libérale. De même, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) peut sanctionner tous les écarts au libre-échange. Ces institutions ont aussi pour objectif de résoudre les conflits et tensions commerciales liés à la mondialisation. À l’OMC, tout État membre compte pour une voix, ce qui permet aux pays pauvres ou émergents de se faire entendre. Le FMI et la BM prêtent de l'argent aux pays en difficulté.
  • Des groupes de pays, comme le G7* ou le G20*, se sont formés pour tenter de résoudre les défis mondiaux et de réguler la mondialisation. Ces coopérations plus informelles permettent parfois de contester l’ordre proposé par les institutions internationales. La création du G20 ou des BRICS témoigne d’une volonté de promouvoir un monde plus multipolaire.

 

 B. Des organisations de coopération régionale 

 

  • Des regroupements entre États ont pour objectif de peser dans la mondialisation. Ces associations régionales ont toutes un fonctionnement et des objectifs différents: c’est parfois une simple zone de libre-échange* (ACEUM) ou une coopération plus poussée en matière économique, monétaire et politique (UE).L’échelle continentale  est  particulièrement  pertinente  pour  les  États  et  les entreprises. Toutes les associations régionales favorisent en leur sein le libre-échange par la  levée  des  barrières  douanières  (ASEANMercosur…).  Elles rassemblent souvent des pays de poids économique différent.Cette  coopération  régionale  permet  de  renforcer  la  puissance  économique  et l’attractivité de l’espace concerné. Le commerce intra-zone est favorisé par des corridors de développement. Les échanges mondiaux s’organisent principalement entre ces grandes associations.

 

 C. Des tensions qui demeurent fortes 

 

  • Malgré certaines réussites, les coopérations régionales connaissent toutes des tensions. Dans l’UE, le Brexit souligne le désaccord profond au Royaume-Uni entre les gagnants et les oubliés de la mondialisation. Les tensions portent également sur le modèle économique: certains pays prônent un minimum de protectionnisme quand d’autres sont favorables au libre-échange. Par exemple, les États-Unis de Donald Trump favorisent les productions nationales, ce qui provoque des tensions au sein de l’ACEUM.
  • De nombreuses organisations régionales sont finalement peu intégrées :  les échanges commerciaux sont plus importants avec l’extérieur qu’au sein  de la  région.  Elles sont peu porteuses de développement:  les disparités inter-régionales demeurent fortes.  La crainte d’un voisin trop puissant au sein de l’organisation est aussi un vecteur de tensions.
  • Les tensions émanent également de mouvements citoyens qui émergent depuis la fin des années 1990. L’altermondialisme* est une nébuleuse d’associations qui s’opposent à la mondialisation libérale tout en s’engageant pour la protection de l’environnement. Ces revendications citoyennes ont pour point commun de prôner une gouvernance mondiale plus équitable et plus durable.

Date de dernière mise à jour : 31/12/2022

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